Robbe/Gloaguen à la Jam Session de Vannes. Article de Marcus

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Le 13 octobre 2016 est enfin arrivé le jour où j’allais pouvoir entendre ce duo que j’avais raté cet été au vendredi squares de Baud.

Je passe prendre Fabien chez lui, on charge ses clous dans ma voiture. Il faut embarquer le Rhodes, le Nord Stage, le korg MS10, les supports, le sac de câbles et autres babioles indispensables. Ne rien oublier, Fabien me raconte qu’une fois il avait oublié l’essentiel, la trompette avec laquelle il devait se produire. On discute, ni lui ni moi ne connaissons l’endroit où nous allons. J’ai emmené ma guitare mais je sais déjà que je ne jouerais pas, le vent me dit que je n’irais pas affronter les géants et c’est bien comme ça. C’est déjà une histoire d’amitié, il est en musique ce que je suis en peinture, on se comprend parce qu’on aime tous les deux les chemins de traverse. On a chacun une expérience artistique différente, ce qu’il dit de la musique je pourrais le lui dire de la peinture. Il me booste parce que j’aime son aventure. Il a un petit coup d’adrénaline, pas content de ce que son gamin a entendu à l’école, ça le fait monter aux créneaux. Il a besoin de se tendre comme un arc qui va tirer. On fini par partir, pile au timing. Il me fait prendre un chemin que je ne connais pas pour joindre Vannes à partir de chez lui. Je sais que Jérôme part de son côté depuis Ploërmel. Je pense à la conjonction, l’endroit où nos chemins se croisent pour construire nos histoires. Ce n’est pas la première fois que je fais un plan avec Fabien. En fait il m’embarque, je ne sais pas pourquoi, ni si un jour je le rejoindrai mais il m’embarque dans son aventure. Je vais faire des photos, ça je le fais bien. Capter l’ambiance, suivre l’événement, comprendre ce qui se construit devant moi et qui va être un instant unique. Il faut retenir l’essentiel, garder au moins un souvenir parce que tout est éphémère. Arrivés à Vannes on découvre le café Jam Session. Débarquement un peu ardu, pas beaucoup de stationnement mais on arrive à tout sortir. Plus tard dans la soirée j’aurais une place juste devant et ce sera plus facile pour remballer. On est en avance, on découvre le lieu, cet après-midi un disquaire avait déballé ses vinyles dans la salle. Des caisses de disques partout pour tous les genres et tous les goûts. Le lieu est si chouette et si bien pour ça qu’on est même pas étonnés. Un ancien café théâtre co géré par Amélie Tandeau et Ronan Auffret. Ouvert depuis un an, un magnifique travail de remise aux normes et au goût du jour. On est accueilli par Yves et Jean-Marc respectivement contrebassiste et guitariste qui vont faire le bœuf après le Duo. Ronan va arriver dans un petit moment c’est lui qui s’occupe du son. Jérôme est déjà là et chacun sait déjà ce qu’il doit faire. Je vois le dispositif se placer sur scène, trois claviers d’un côté une batterie de l’autre, bardée de micros. On sent les pro du sons, le matériel se met en place et les premiers réglages passés on éclate de rire, la radio locale accroche les amplis et on entend l’émission dans les baffles. Ronan peste : « on héberge une radio, leur émetteur est à fond, je vais leur dire de baisser ». Fabien imperturbable prend ça avec calme et cherche des solutions, branche, débranche et rebranche. Furtivement je commence quelques prises de vue pour voir l’ambiance, les cadrages et les angles. Si je veux fixer quelque chose il me faut travailler au flash et je n’aime pas ça mais y a rarement d’autres solutions. Faut rester discret et ne pas surprendre avec les éclairs. Je bouge autour de la scène pour observer, quelques prises pour fixer le cadre, puis je reviens devant la scène et la réflexion commence en voyant les deux musiciens se placer. Au bout d’un moment, il est temps de passer à table. Ronan part en cuisine nous concocter un petit plat sympa. Pause détente de musiciens avant d’attaquer. Les duettistes se ferment, ils ont besoin de concentration et ne prendront pas leur dessert. Ils vont même s’isoler avant de revenir et lancer l’affaire. Entretemps Heike nous rejoint, elle a commandé un thé et s’installe à côté de moi. Nous faisons partie du même atelier de musique que dirige Fabien. Elle a pu se libérer. On connaît déjà bien le travail de Fabien. On va l’écouter ensemble avec un plaisir non dissimulé.
Fabien reprend les éléments de son répertoire depuis la sortie de son cd/album Da bep Lec’h. La nouveauté est qu’il intègre Jérôme Gloagen à la batterie, ce qui forme un duo assez inhabituel. Un jeu entre Fabien et Jérôme qui compose une atmosphère dans les différents genres du jazz, du classique et de la tradition. Un balayage, comme une sorte de citation permanente des souvenirs, des sources et des influences. L’Afrique même est au rendez-vous univers habité et habitant Fabien. Le mot tradition revêt ici un esprit un peu différent de celle de la musique traditionnelle régionale. On est en somme à remonter vers la source, vers l’origine des trois genres, l’influence non figée de cette tradition qui permet de recréer quelque chose de nouveau. Un bon batteur est présent, en alerte vif et prompt tout entier dans l’évènement qui arrive, ce sont les qualités de Jérôme qui est à la fois élève de Fabien dans une conversation musicale et devient un maître qui lâche les chevaux. Fabien me dira de Jérôme : il est aussi free ! On le sentait avant de commencer, ils avaient besoin tous les deux de concentration, de se replier en eux pour aller puiser leurs forces. Pas facile, il y a du public et dedans des musiciens avertis. Mais la performance est au rendez-vous et il n’y a pas photo, l’univers est bien là, sans concession. Jamais le même, toujours différent mais tellement reconnaissable. Moment tendre du souvenir africain avec une mélopée chantée, tristesse dans les faucheuses, morceau pour ceux qui nous quittent. Gavottes qui dérapent en Jazz. Souvenir du conservatoire avec un Debussy totalement revisité, il n’a jamais su/pu/envie de le jouer à la manière du conservatoire. Il prend la tangente de manière définitive et assumée. Sans irrévérence, un beau moment de musique qui rend discrètement hommage à François Tusques dont la manière d’être en musique est totalement présente. Après un moment de flottement, avant que le bœuf fasse suite, Heike se sauve, elle commence de bonne heure demain. J’attends la suite où quelques gens connus, déjà vus aux valseuses, vont se former et reformer en différents groupes pour faire quelques standards de jazz. Fabien et Jérôme y participeront tour à tour et j’aime ça. En allant et venant les échanges s’égrènent, je photographie les formations aux démarrages des morceaux. Ils ont compris ce que je venais faire là et n’y prêtent plus attention. Au fil de la soirée je parle avec Jean-Marie, batteur prof de l’atelier jazz auquel j’ai participé et puis après diverses discussions vient le temps de rentrer. On s’attarde au Zingue avec Ronan qui est content de la soirée et qui nous parlent de ce lieu de vie qu’il construit avec passion pour accueillir des musiciens en tous genres. Quelques échanges de coordonnées et l’on reprend la route de nuit par le même chemin contraire. Discussion avec Fabien sur la soirée tout au long du trajet. On arrive chez lui vers les deux heures du matin, il faut être discret, tout le monde dort et on range le matériel avant que je reparte chez moi me coucher, les oreilles pleines de ces sons qui m’ont tellement manqué dans ma vie passée et après lesquels je cours aujourd’hui pour rattraper le temps perdu.
Marcus